" L’éducateur est un passeur ".
La rive de l’enfance ne se quitte que si l’autre rive invite à la joie, à l’aventure, à la réalisation de soi par et avec les autres. Et seulement si le passeur tend la main pour que le saut soit possible, non sans difficultés, mais avec confiance par se que de l’autre coté attend l’espérance »
La beauté sauvera le monde
10 035 kilomètres plus loin.
Voilà un chiffre qui me donnait le vertige, moi qui n'avais jamais voyagé avant.
Dans un premier temps il fut donc question de distance. La distance entre mes racines et celles de l'inconnu que je m'apprêtais à découvrir durant 13 mois au Cambodge en tant que volontaire pour l'association Enfants du Mékong.
Je ne connaissais rien de ce pays, ni son langage, ni son histoire, et quand bien même j'en aurais entendu parler, tout ce que j'avais pu imaginer avant mon départ fut dépourvu de sens dès les premiers pas.
La sensation du déjà vu n'existait pas. La façon de marcher, de communiquer, de partager, de rêver, de jouer, de danser… surtout de danser.
Le Cambodge prend les tripes à quiconque en franchit les frontières, inévitablement. Le choc était là et la ceinture de sécurité aussi. Celle de l'incompréhension, celle qui te fait dire que chez toi, c'est plus logique. Chez toi, les choses ont du sens.
Mais avec le temps, l’aventure prend un autre tournant. Plus les semaines passèrent, plus je découvris ce qui m’entourait avec enthousiasme, avec joie, avec désir.
Il est donc aussi question de temps, celui de l'adaptation, de la mise en forme. Le temps du mouvement.
C'est sur ces deux axes que la photographie manifeste toute sa nécessité. Mon appareil photo accompagne mes gestes avec un désir précieux de mémoire et de création.
De ces images, quelles qu'elles soient, naît un lien éternel entre moi et les lieux, les Hommes, les paysages.
Ces photographies ont été créés par le biais d’un travail manuel, loin de la photographie numérique et de ces millions de pixels. Cette photographie argentique que j’aime qualifier de primitive, permet de garder une trace réelle, véritable, car on peut la toucher, la modeler. Après
le temps de la prise de vue vient d’abord le temps de l’oubli, les choses se taisent et se reposent, puis le temps du développement ou l’on découvre enfin les images à son retour de voyage, à la fin de la traversée… Sur ces petites bandes-film pas plus larges qu’un timbre, le vécu redevient
tangible. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est dans le noir que tout se révèle. Sous la lueur rouge d’une ampoule inactinique, l’imaginaire rencontre le réel. Tout est sous le contrôle de mes mains. La chimie opère, la magie aussi. Un premier bain, l'image se dessine sur le papier. Je
devine peu à peu un visage, un regard, une montagne. Un deuxième bain puis un troisième, l'image se fixe sur le papier, enfin des vivres pour mes souvenirs, pourvu que rien ne disparaisse...
Loin des clichés des portraits haut en couleur des femmes mâchant le bétel cette série intitulée « Princes évadés » vous propose un regard personnel et intime sur les routes du sud du Cambodge, à la rencontre des khmers et de leur terre. J’habitais au cœur d’un petit village nommé Ta Riet, dans le district de Chumkiri au sud du royaume. Dans le cadre de ma mission, je devais aller à la rencontre de la population khmer et particulièrement les enfants des familles défavorisés. Quel que soit leur âge je les appelais souvent princes et princesses… car c’est ce qu’ils étaient à mes yeux. Des princes et des princesses, comme évadés de leur pauvreté quand ils dansaient, quand ils jouaient, quand ils s’exprimaient. Libre sur les chemins de l’école. Sous la pluie, sur leurs motos, dans les étangs, les rizières, sous les maisons... Je garde en mémoire leurs
sourires, leurs peines, leurs beautés, leur peau mate, leur pieds nus, leur territoire aussi, leurs collines, leur océan…
Guillaume de Tapol, invité de la Quinzaine Photographique de Laillé, du 15 au 29 Mai 2019.